22.
Une attaque aérienne
En ouvrant l’œil, le lendemain matin, Swan ressentit un terrible danger. Elle se leva vivement sur les coudes et, utilisant ses sens magiques, elle balaya la région jusqu’à ce qu’elle capte une force glacée et menaçante approchant rapidement au-dessus de la mer, « Un autre sorcier ? » s’alarma-t-elle. Ce château était vraiment au beau milieu de la voie maléfique menant à Enkidiev ! Elle secoua aussitôt Farrell et lui ordonna de s’habiller en vitesse pendant qu’elle enfilait son uniforme et attachait ses armes à sa taille. Elle courut jusqu’au balcon royal qui surplombait l’océan. Un curieux nuage noir avançait à l’horizon.
— Mais qu’est-ce que c’est ? demanda Farrell en arrivant près d’elle.
— Je n’en sais rien, mais à mon avis, ce n’est pas un phénomène naturel. Je crains que ce soit plutôt une nouvelle attaque de l’empire.
— Tu penses que ce sont des ennemis volants ? s’étonna-t-il.
— Nous avons déjà affronté un sorcier d’Amecareth qui avait des ailes, se rappela la jeune femme.
— Si ce sont des sorciers, alors nous ferions mieux de ne pas traîner ici, s’énerva Farrell.
— Surtout, n’aie pas peur, je ne laisserai rien t’arriver. Mais tu dois comprendre que je suis d’abord et avant tout un Chevalier d’Émeraude. Tous les renseignements que je pourrai transmettre à mes frères d’armes leur permettront de mieux assurer la défense du continent.
— Tu as l’intention d’attendre l’arrivée des mages noirs ?
— Nous ne savons même pas ce que c’est, Farrell. Je peux seulement capter de mauvaises intentions. Alors il faut que nous restions pour savoir de quoi il retourne.
Elle le sentit hésiter, mais elle ne pouvait pas prendre cette décision pour lui. Elle ne pouvait pas non plus lui reprocher de trembler de peur, puisqu’il n’avait pas été formé comme elle pour la guerre. Au bout d’un moment, il glissa les doigts entre les siens et les serra, dans un visible effort pour se montrer courageux. Cela réchauffa le cœur de Swan qui voulait que son mari soit un homme brave.
Wellan ! appela-t-elle.
Le grand Chevalier venait de terminer son repas du matin au milieu de ses compagnons lorsqu’il capta l’appel de la guerrière absente. Il se redressa aussitôt sur son banc en déposant sa coupe. Tous ses frères et ses sœurs d’armes se retournèrent vers lui. Ils pouvaient l’entendre aussi. Que se passe-t-il, Swan ? demanda Wellan. La réponse de la femme Chevalier les fit sursauter. L’ennemi est de retour ! déclara-t-elle. Elle décrivit à son chef ce qu’elle voyait pendant que tous les Chevaliers fixaient intensément Wellan, attendant sa décision.
— Le journal d’Onyx parlait-il d’un ennemi ailé ? explosa Bridgess.
— Non, répondit le grand chef. Mais ce document ne décrivait pas tous les soldats qu’utilise Amecareth. Il mentionnait seulement le fait qu’il envoie contre les humains toutes les races qu’il désire éliminer.
— Et si c’étaient des sorciers comme Asbeth ? intervint Hettrick, qui avait jadis vu cette créature infâme s’envoler après avoir assassiné un de leurs Écuyers.
— C’est possible, murmura Wellan en attendant le reste du rapport de Swan.
Ils sont des centaines, fit-elle. Décris-les-moi, ordonna son chef. Ce sont des insectes, il n’y a aucun doute, mais ils ne ressemblent pas à ceux que nous avons déjà affrontés. On dirait de grosses abeilles.
Grosses comment ? s’impatienta Nogait, assis sur le bout de son banc. C’est difficile à déterminer, mais elles se dirigent tout droit vers Zénor. Je pourrais tenter de les ralentir. Wellan passa rapidement en revue tous les scénarios possibles. Seulement si tu peux le faire sans danger, concéda-t-il enfin. Nous arrivons.
— Allez revêtir vos cuirasses, ordonna-t-il à ses hommes en se levant.
Les plus jeunes se précipitèrent vers la sortie d’un seul bond, mais les plus vieux dirigèrent plutôt un regard inquiet vers Wellan.
— Ne perdez pas de temps, exigea ce dernier. Swan ne pourra pas les retenir indéfiniment.
Il marcha vers la porte, Bridgess sur ses talons et les autres derrière eux.
— Swan est à Zénor, lui rappela son épouse en le suivant dans leur chambre. Nous n’y serons pas avant plusieurs jours, même si les pluies ont cessé.
— Pas si le Magicien de Cristal nous accorde enfin l’aide que nous lui demandons depuis longtemps, répliqua-t-il en s’emparant de sa cuirasse verte.
« Ils ne vont pas recommencer à se bagarrer », espéra la jeune femme en attachant l’armure de son époux. Dès qu’ils furent prêts, Wellan sortit. Il n’attendrait pas Jasson et Bergeau, qui habitaient sur des fermes à plusieurs kilomètres du château et qui ne pourraient pas être là avant au moins une heure. Il se planta au milieu de la cour, peu à peu rejoint par les autres.
— Maître Abnar ! rugit-il. J’ai besoin de vous !
Le Magicien de Cristal se matérialisa à ses côtés avec son air sévère habituel. Il examina froidement cette assemblée de soldats, la plupart en vert, un en mauve et un étranger vêtu d’une cuirasse argentée parée d’un aigle. Près d’Abnar apparut alors une belle dame blanche et lumineuse. Un murmure d’admiration s’éleva parmi les jeunes Chevaliers. Sa présence sembla d’ailleurs refroidir la colère de leur grand chef, qui posa respectueusement un genou en terre.
— L’empereur nous attaque de nouveau, fit la Reine Fan d’une voix mélodieuse.
— Nous le savons, Majesté, répondit Wellan en s’efforçant de maîtriser son impatience. Un de mes soldats se trouve présentement à Zénor et vient de me rapporter ce qu’elle a vu. Nous implorons votre aide afin de nous rendre aussi rapidement que possible sur la côte pour arrêter l’ennemi.
Fan jeta un coup d’œil à Abnar. À cet instant, il devint évident pour Wellan qu’elle détenait plus d’influence que le Magicien de Cristal auprès des dieux.
— Wellan, nous avons décidé de vous accorder le pouvoir de vous déplacer rapidement à travers l’espace avec votre armée, déclara Abnar sur un ton forcé. Vous n’avez qu’à croiser vos bracelets devant vous et à visualiser l’endroit où vous désirez vous rendre. Un tourbillon d’énergie apparaîtra dans lequel tous les Chevaliers devront entrer.
— Et si je devais tomber au combat, lequel de mes hommes pourrait ramener mes compagnons au bercail de la même façon ?
Les traits d’Abnar se durcirent brusquement, mais il ne pouvait pas punir le Chevalier impertinent en présence de Fan de Shola.
— Nous prendrons cette décision lorsqu’elle s’imposera, répondit celle-ci pour mettre un terme à l’affrontement. Sortez vos épées de vos fourreaux et tendez-les au-dessus de vos têtes.
Wellan s’exécuta sur-le-champ, incitant ainsi ses soldats et Kardey à obéir à la reine magicienne. Toutes les lames s’élevèrent vers le ciel, réfléchissant la lumière du soleil du matin, y compris l’épée double de Kira qui observait sa mère avec tendresse.
— Vous allez recevoir des dieux un présent qui vous sera fort utile dans les combats qui s’amorcent, annonça la reine fantôme. À partir de maintenant, vos armes seront plus résistantes et vos bras plus puissants. Vos ennemis ne pourront pas vous vaincre lorsque vous vous en servirez contre eux.
De brillants éclairs écarlates venus de nulle part frappèrent les lames et causèrent une grande douleur dans les muscles des Chevaliers étonnés. En voyant son épée parcourue de serpents d’énergie de couleur rouge, Wellan comprit tout de suite que cette énergie leur était offerte par la déesse de Rubis.
Au milieu des soldats, Kardey reçut un grand choc. Tout son corps fut secoué de tremblements et il abaissa son arme avec beaucoup de difficulté. À ses côtés, Ariane perçut sa frayeur. La défunte reine avait accru les pouvoirs magiques d’un homme qui n’en possédait même pas ! Mais ce n’était guère le moment d’en parler à Wellan. Kardey devrait s’habituer de lui-même à son nouvel état s’il voulait servir sous ce grand homme.
— Nous sommes reconnaissants de ce présent, remercia Wellan en remettant son arme dans son fourreau.
— Que les dieux vous protègent, Chevaliers, conclut Fan avec un sourire bienveillant à l’endroit du grand chef.
Wellan baissa les yeux sur les deux bracelets noirs dont il ne pouvait plus se défaire. Il les leva devant lui, forma dans son esprit l’image de la plage de Zénor, près du château, et il croisa les poignets. Un magnifique tourbillon de lumière blanche se forma au milieu de la cour, semblable à celui qu’avait emprunté Dylan lors de son passage dans le hall. Wellan marcha résolument vers le couloir d’énergie, aussitôt suivi de ses soldats.